Acadezine hors série du mois de Décembre
Cet acadezine est un hors série à l’occasion de Noël.Pour commencer voilà une histoire de Noël (surtout pour mathiew972 qui pourra la raconter à son petit frère nicos972)
La Véritable Histoire du Père Noël
Chapitre 1 : Vladimir
Vladimir Igor Borenchensko, depuis qu’il savait frapper sur un arbre, était bûcheron comme son père l’était et le père de son père ainsi que le père du père de son père.
Aussi loin que la mémoire peut remonter dans le temps chez les Borenchensko, on est bûcheron de père en fils. Comme les Romanov sont Tsars de toutes les Russies depuis des générations, les Borenchensko abattent des arbres et vendent à la ville le bois qu’ils ont fendu.
C’est ainsi et jamais Vladimir ne s’est plaint, malgré la solitude, malgré les longs hivers, malgré les loups ou les accidents. Au contraire, Vladimir rendait grâce, tous les matins, d’être debout et de pouvoir partir sa hache sur l’épaule, abattre un centenaire.
Ce jour-là, avant le lever du soleil, Vladimir devait partir pour la ville voisine. Enfin, " voisine " c’est une image. À plus de 60 verstes, il fallait au moins une journée de troïka pour y arriver, à condition que le temps ne soit pas mauvais. Or, cela faisait deux jours, qu’une tempête de neige clouait Vladimir sur place. Depuis deux longues journées, Vladimir attendait une accalmie, mais rien, aucun signe d’apaisement ne se profilait. Bien au contraire, le vent forcissait, le froid s’intensifiait et la neige, flocon après flocon, recouvrait tout.
Chapitre 2 : La Livraison
Maintenant, Vladimir ne pouvait plus reculer et, en dépit des éléments déchaînés, il avait pris sa décision : il irait livrer son bois dès l’aurore. Si les Dieux étaient avec lui il arriverait peut-être avant la nuit dans la bonne ville de Pouglanosk, sinon il lui faudra attendre dans le froid et l’obscurité que revienne le jour.
Repousser encore son départ aurait mis le bûcheron en retard et pour un homme comme Vladimir la mort était préférable à un retard.
Les bûches de Vladimir étaient réputées au-delà de la steppe, jusque dans la grande ville où les bourgeois se bousculaient pour acheter à prix d’or les quelques rondins qu’il apportait, une fois l’an lors de la fête de fin d’année. On disait de ses bûches, qu’elles étaient les seules qui brûlaient à coup sûr toute la nuit et qu’elles donnaient encore des flammes, au réveil des enfants. Selon la coutume, une bûche éteinte le matin annonçait une mauvaise année. Vladimir était le messager de l’année qui venait. Aussi n’avait-il pas le droit d’être en retard, seule la mort, pouvait excuser un retard.
Et la mort rôdait, Vladimir le savait. Elle avait déjà frappé très fort. Elle lui avait volé sa douce Natacha, le laissant seul avec sept orphelins. Un pont vermoulu, une planche qui avait cédé avaient suffi au triomphe de la mort.
Avant de partir, Vladimir observa une dernière fois ses enfants. Ils étaient blottis les uns contre les autres dans l’unique litière de la maisonnée. Leur présence lui réchauffait le coeur et en chacun d’eux il retrouvait un peu de sa Natacha. Souvent, il se demandait ce qu’il leur arriverait si, lui aussi, venait à disparaître.
Vladimir s’arrêta de penser. Ce n’était pas le moment de se décourager, la nourriture était rare. Il lui fallait se rendre à la ville rapidement pour livrer et faire de nouvelles provisions. Quelques puissent être les risques. Dans une semaine, il n’aurait plus rien à donner à manger à ses enfants. La nuit, qui posait encore son noir manteau sur les arbres, ne lui faisait pas peur, pas plus que le froid. Les loups ? Bien sûr les loups, mais par ce temps, même les loups se terraient bien à l’abri. Enfin, la mort ne frapperait pas une deuxième fois. Avec Natacha, elle devait être repue. Elle le laisserait tranquille, s’était-il dit pour se rassurer et se donner du courage.
Chapitre 3 : Le Départ
Vladimir secoua son énorme barbe blanche qui lui recouvrait la poitrine, quelques miettes de pains tombèrent sur le sol. Son immense main saisit la bouteille de Vodka. Avec lenteur, Vladimir savoura la chaleur de l’alcool qui glissait doucement dans son corps. Quand il reposa le flacon vide, ses joues et son nez virèrent au rose. Un large sourire de satisfaction découvrit de superbes dents blanches faites pour manger et rire. Vladimir enfonça son gros bonnet de laine sur ses oreilles, dissimulant son épaisse chevelure immaculée comme une première neige. Il frappa le sol de ses pieds et s’emmitoufla dans son lourd manteau rouge.
Tous les bûcherons des alentours portent le même manteau rouge. En cas de malheur, il est plus facile de retrouver une tache rouge au milieu du désert blanc. Vladimir regarda une dernière fois ses enfants. Il aurait aimé les embrasser. Mais, dans la région, on dit que ça porte malheur de s’échanger un " Au revoir ".
Avec un pincement au coeur, Vladimir remit un rondin de bois dans la cheminée et se dirigea vers l’entrée. Il tenta d’ouvrir la porte de son isba. En un clin d’oeil, une épaisse couche de neige s’engouffra dans la petite maison. Vladimir poussa sur la porte, s’extirpa de l’intérieur, repoussa le battant et se dirigea péniblement vers l’écurie. Pas besoin de verrouiller l’entrée, la neige s’en chargera. Pour ses enfants, il n’avait rien à craindre. Malgré leur jeune âge, il savait qu’ils ne s’aventureraient pas seuls sur la Taïga. Et puis, quand bien même, si un voyageur égaré forçait la porte dans ce lieu perdu du monde, c’est qu’il avait plus besoin d’aide qu’il n’était animé de mauvaises intentions.
La lueur de sa lampe-tempête dessinait sur les sapins, alourdis par la neige, la silhouette de Vladimir, petite, compacte, dotée d’un embonpoint qui trahissait le plaisir de manger.
Un dernier sucre suivi d’une tape amicale à chacun de ses six rennes qui constituaient son attelage prépara les animaux pour le grand voyage. Une ultime vérification du harnachement, puis Vladimir attela les animaux à la troïka chargée de bûches, prête depuis une semaine déjà. Ensuite, il sauta sur le siège avant et, d’un simple claquement de langue, fit s’ébranler le convoi. La nuit aveugle écouta en silence les joyeux cliquetis des clochettes du traîneau.
Le vent hurlait sur la taïga, les rennes peinaient, mais avançaient. Le bûcheron rabattit sur son visage sa chapka et lentement, se laissa emporter par un demi-sommeil. Les bêtes connaissaient le chemin. Vladimir, dans son rêve, voyait les bûches flamboyer avec mille étincelles dans l’âtre des bourgeois de la ville et cette vision réchauffait intérieurement l’homme que la neige, maintenant, recouvrait entièrement.
Chapitre 4 : La Rencontre
Brusquement, les rennes s’arrêtèrent. Les clochettes se turent. Même le vent était tombé. Vladimir se réveilla instantanément, il se secoua et, devant lui, s’offrait un spectacle incroyable ; sur cinquante mètres de circonférence, il n’y avait plus un arbre, le sol était trempé, boueux et plus étrange encore il n’y avait pas un seul flocon de neige sur ce disque parfait.
Un nuage de vapeur s’élevait encore de l’endroit, comme si on venait de poser un énorme fer à repasser sur cette partie de la forêt. Vladimir écouta, mais rien ne filtra, pas même les hurlements du vent. Il resta deux ou trois minutes ainsi, sans bouger.
Pendant ces interminables minutes, Vladimir le sentait, il y avait quelque chose qui gisait en face lui. À quelques mètres de lui, un être en détresse avait besoin de lui. Vladimir le savait. La solitude des grands espaces développe des sens qui ne trompent pas. Peut-être cette créature invisible souffrait-elle ? Peut-être avait-elle besoin d’aide ?
Une seconde, Vladimir voulut reculer. Mais son instinct lui ordonna de rester. Alors, il fit un premier pas vers le cercle, puis un second. Maintenant, il se dirigeait d’un pas assuré vers la " chose " qu’il savait devant lui. Il buta contre quelque chose d’invisible, ses mains effleurèrent les contours de la chose. C’était grand, très haut, un peu chaud par endroits...
Vladimir se retrouva par terre, tout à son exploration, il n’avait pas remarqué une petite butte sur le sol. Cette fois il fit plus attention et il vit que les flocons qui recommençaient à tomber s’arrêtaient net et semblaient flotter dans les airs comme s’ils recouvraient un volume, plus petit, qui serait sorti de la chose.
Il n’en fallut pas plus pour Vladimir. Il alla jusqu’à sa troïka retirer la peau d’ours qui recouvrait son siège. Il enleva aussi son énorme manteau rouge qui le protégeait du froid et déposa les deux sur la chose. Ensuite, il se mit à marcher, à marcher en décrivant un large cercle autour de l’être imaginaire. Maintenant, il tournait autour d’une espèce de dôme recouvert d’une couche d’au moins dix centimètres de neige.
Ne pas s’arrêter de marcher, continuer d’avancer jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement. Vladimir savait trop ce que signifierait pour lui et pour l’autre une pause. Si Vladimir s’arrête, même si l’autre par miracle se réveillait, sans Vladimir, par ce froid, il n’aurait aucune chance de survivre. Vladimir devait tenir bon pour l’étranger, être là quand il se réveillerait.
Le vent est moins fort, il fait presque chaud maintenant, Vladimir n’a plus froid, la neige qui s’engouffre dans sa bouche a le goût de la soupe que lui préparait Natacha. Vladimir s’écroula dans la neige, il regarda une dernière fois vers la " chose ". Il lui semblait voir son manteau rouge, comme si la neige qui le recouvrait avait fondu. Il ferma les yeux, et alors une véritable chaleur l’enveloppa. Vladimir avait comme l’impression de flotter dans les airs, mais il ne voyait pas Natacha.
Quand le bûcheron se réveilla, il était arrivé à la ville. Déjà quelques bourgeois s’approchaient de la troïka pour choisir leur bûche, avant que d’autres clients n’affluent. Dans la bousculade, personne ne remarqua qu’aucun flocon ne recouvrait ni Vladimir, ni ses rennes, ni même sa troïka. Personne ne s’étonna non plus de la qualité exceptionnelle des bûches, comme si elles avaient séché pendant des années...
Chapitre 5 : Le Voyageur
Balt regarda s’éloigner la troïka qu’il avait enveloppée d’une coque d’air protectrice. Son sauveur arriverait ainsi à destination sans encombre. Le premier qui s’approcherait de cet homme crèverait la bulle et Vladimir se réveillerait comme si rien ne s’était passé.
Oui, Balt avait transgressé son code d’honneur. Jamais il n’aurait dû intervenir dans la vie d’une race étrangère à la sienne. Pourtant, sans cet homme, Balt ne serait plus.
Pendant qu’il réanimait Vladimir, Il en avait profité pour s’informer sur les êtres qui peuplaient cette planète hostile. Les quelques minutes de soin nécessaires pour sortir Vladimir du coma lui avaient été riches d’enseignements. Il croyait désormais en savoir suffisamment sur la civilisation terrestre et son degré de développement pour presser son départ.
Balt songeait maintenant à la panne qui l’avait obligé à se poser en catastrophe et qui, sans l’intervention d’un " humain ", l’aurait tué. Il était redevable de sa vie à un être primitif et jamais il ne l’oublierait. Malgré son érudition infaillible, Balt était cloué à la terre et devait attendre encore quelques heures que son vaisseau spatial s’auto répare. Le froid à nouveau recommençait à le glacer. Il lui fallait trouver rapidement une source de chaleur, un lieu à l’abri, sinon il allait finir par mourir congelé sans avoir pu remplir sa mission.
" Mais comment peut-on vivre dans des endroits pareils ? " se demanda Balt.
Chapitre 6 : Le Refuge
Son regard explora les environs sur quelques kilomètres, il finit par repérer, à l’orée de la forêt, l’isba de Vladimir. Sur la neige, des pas s’enfoncèrent et, soudain une silhouette identique à celle de Vladimir émergea de la nuit. Le code de Balt lui refusait le droit de se montrer aux autres civilisations. Aussi, lui et son vaisseau étaient-ils restés invisibles devant Vladimir, mais ce prodige épuisait les gens de sa race. Pour le temps qu’il lui restait à passer sur Terre, Balt décida de copier la silhouette de Vladimir.
Il faisait ainsi à son sauveur, un des plus grands honneurs qu’un voyageur puisse faire un hôte : prendre son apparence physique.
En plus par ce truchement, Balt pouvait, sans transgresser le " Code ", se faire voir d’autres humains. Balt se dirigea vers l’isba, il espérait ainsi trouver non seulement un abri, mais aussi le moyen de payer sa dette.
Le froid était trop intense, Balt devait se presser. Il transforma un mini vaisseau de secours en troïka et, sans y songer, décolla. Le traîneau qui semblait être tiré par des rennes dépassa, le faîte des plus hauts sapins et vola vers la masure que Balt avait repérée.
Pendant le trajet, Balt pensait à sa famille, à ses amis qui s’étaient faits congeler en attendant son retour. Cela faisait six révolutions de son soleil qu’il était parti, plus de six mille ans pour nous et il n’avait toujours pas trouvé la source de lumière, l’étincelle de vie qui pourrait rallumer son soleil.
Quand, Balt avait quitté sa galaxie, seul un astre rougeaud dispensait à peine assez de lumière pour alimenter les surgénérateurs de congélation. Sa planète qui, jadis, croulait sous les fleurs, était aujourd’hui un bloc de glace. Encore une révolution, et son astre s’éteindrait à jamais, les surgénérateurs se déconnecteraient et, avec eux, tout espoir de réveil pour sa famille et les derniers représentants de sa race.
Cet incident mécanique qui lui faisait perdre un temps précieux, le contrariait fort, mais le froid qui perçait son nouveau corps ne lui laissait pas de répit.
Malgré l’étendue inimaginable de son savoir, Balt ne pouvait pas tout connaître et, même s’il avait dérobé une quantité précieuse de renseignements à Vladimir lors de sa réanimation, il ne pouvait pas encore tout deviner. Quand Balt doutait, il laissait sa logique décider pour lui.
Balt posa donc son vaisseau sur le toit de la maison de Vladimir, pensant que c’était là qu’il fallait ranger la troïka. La source de chaleur qui fumait par la cheminée semblait indiquer, vu du ciel, la seule entrée possible.